« « Divorcés remariés : de l’exclusion à l’intégration  » de Patrick LANGUE

Patrick LANGUE, jésuite.


 

(Cet ouvrage s’adresse prioritairement aux accompagnateurs de personnes divorcées vivant en couple)

 

Introduction.

Les enjeux d’une mise en œuvre de La joie de l’amour sont malheureusement sous-estimés.

La crise que traverse l’Eglise catholique exige des repositionnements. La simultanéité d’une discipline empreinte d’une mollesse aveugle pour les clercs abuseurs, et d’une discipline sans distinction pour les baptisés divorcés qui se sont remis en couple : 2 poids, 2 mesures.

Le temps des tergiversations et des atermoiements est révolu. Le pape François a proposé un remarquable chemin pour l’immense cohorte des baptisés en situation dite « irrégulière ».

 

1ère partie : Accueillir, accompagner, discerner, intégrer.

 

Ch. 1 – Les convictions du pape François.

Il n’y a pas de changement doctrinal sur le mariage fidèle, fécond, indissoluble, mais une inflexion.

Les normes ne justifient pas les condamnations rapides et définitives, encore moins automatiques.

On ne peut enfermer ceux qui ont vécu l’échec, un naufrage conjugal, dans un carcan juridique.

Refus du laxisme.

Reconnaître le mal fait ou sa part de responsabilité dans un désastre conjugal conditionne la possibilité de recevoir le pardon et de le donner.

Le discernement préconisé par le pape François est absolument personnel. Ses conclusions ne valent que pour la personne qui a parcouru un chemin unique. Ce parcours exige disponibilité, vérité, humilité, retour sur son histoire et celle de ses proches, pour y discerner le péché et la grâce à l’œuvre.

 

Ch. 2 – Les intentions du pape François.

Crise mondiale de l’institution conjugale : selon l’INSEE en 2016, 45 % des unions finissent par la dissolution du mariage civil.

Le droit canonique ne juge pas, il condamne sans autre forme de procès.

 

Ch. 3 – Le magistère et les divorcés à l’époque contemporaine.

Seules les relations sexuelles habituelles devenaient le critère de l’accès ou non au sacrement.

Un des fondements de la voie spirituelle du chapitre VIII d’Amoris Laëtitia (A.L.) c’est une meilleure reconnaissance de la conscience des baptisés.

Il faut cesser d’être obnubilé par la règle pour prendre en considération les personnes.

 

Ch. 4 – Le choix de la voie spirituelle.

Le pape François ne propose pas un chemin de facilité.

Respect de la conscience et espace pour le discernement sont liés. Chaque accompagnement est une avancée sur la terre inconnue de l’histoire d’une personne unique. Cela signifie revenir, sous la forme d’un examen de conscience, sur l’histoire passée.

 

Ch. 5 – L’option pour la voie spirituelle.

C’est la séparation qui bafoue les engagements pris. La remise en couple n’est pas à l’origine du mal, elle n’en est qu’un développement.

Le légalisme éloigne de l’Evangile.

Jésus montre que, même dans une situation de péché, un homme peut être en paix avec Dieu.

La miséricorde n’est pas approbation du mal, mais compréhension de la situation du pécheur.

Le baptisé divorcé en couple peut aimer parce qu’il se sait aimé par Dieu malgré sa situation. Et si tel est le cas, il peut avoir part au repas eucharistique avec la plus grande humilité.

Comment ne pas aspirer à rompre avec une logique qui comporte encore trop de traits d’exclusion, avec une suite d’interdits répulsifs ?

 

Dans l’accompagnement et le discernement personnalisés, c’est la personne qui, aidée de son conseiller spirituel en présence de Dieu, fait la vérité sur son histoire, laisse la lumière de l’Evangile éclairer son parcours, confesse ses fautes, reconnaît ses responsabilités, présente au Seigneur ses circonstances atténuantes, s’engage sur un chemin de pardon.

 

Ch. 6 – Fondements de l’itinéraire proposé par le pape François.

 

Thomas d’Aquin : « nombre de séparations, de divorces, de remises en couple ne sont pas le fruit d’une volonté délibérée, et de ce fait ne peuvent pas être systématiquement assimilées à des actes mauvais. »

 

Pour certains, une nouvelle union est le seul moyen d’échapper à de graves troubles. Elle apparaît comme une bouée de sauvetage pour sortir de terribles phases dépressives qui accablent nombre de ceux qui se retrouvent seuls. Certains considèrent que la rencontre du nouveau conjoint est un signe de la volonté de Dieu.

L’engagement dans la nouvelle union peut susciter la conversion du conjoint.

La charité couvre une multitude de péchés. Ces hommes et ces femmes vivent dans l’amitié de Dieu, davantage sans doute que des couples réguliers éloignés de la charité.

 

 

2ème partie : Une meilleure intégration pour les personnes divorcées passées à un nouveau couple.

 

Rappel de la lettre des évêques de la région de Buenos-Aires du 5/9/2016.

 

Ch. 8 – Des distinctions fondamentales.

Pour le discernement non du bien, mais du meilleur ou du moins mal.

Dans cet état d’imperfection, pour certains baptisés la foi ne s’est pas éteinte, la vie spirituelle ne s’est pas arrêtée.

Si je veux réussir à accompagner un être vers un but précis, je dois le chercher là où il est, et commencer là.

Dans chaque cas, c’est l’accompagné qui discerne.

  • Discernement pastoral = relève du champ de la paroisse, le pasteur est au premier plan.
  • Discernement spirituel = c’est l’accompagné qui discerne, aidé de son accompagnateur.

 

Ch. 9 – L’accompagnateur.

Le pape François rappelle que des laïcs compétents peuvent apporter leur aide aux personnes concernées par le parcours. Mais il est nécessaire d’avoir été formé non seulement à l’accompagnement classique, mais aussi à la spécificité de l’écoute des personnes en situation conjugale complexe.

L’accompagnateur ne peut se substituer à l’accompagné pour discerner.

Le chemin ne peut être tracé à l’avance, la parole de l’accompagné et sa liberté seront déterminant.

C’est dans la direction qu’indique l’accompagné que l’accompagnateur l’aidera à avancer. Mais l’accompagnateur pourra suggérer la méditation de textes de l’Ecriture pour aider la personne à franchir un seuil.

Aucun pré-requis culturel ou spirituel n’est exigible de l’accompagné.

 

Ch. 10 – Tous sont appelés à l’accompagnement, mais tous ne sont pas en condition de discerner.

Le pape François précise que certaines personnes ne sont pas immédiatement aptes à une entrée en discernement :

  • ceux qui sont dans l’accusation de l’Eglise et dans le déni de la faute commise ;
  • ceux qui présentent leur situation comme la normalité, voire un modèle ou un idéal ;
  • ceux dont la séparation ou le divorce sont récents ;
  • ceux dont le couple est le fruit d’une séduction ayant brisé un couple sacramentel sans que le temps qui passe ait pu donner lieu au repentir.

 

Par ailleurs, il est souhaitable que les divorcés en couple montrent une certaine retenue. Par exemple, attitude de ceux qui, au terme d’un cheminement spirituel, communient dans la discrétion.

Pour celui ou celle qui aurait quitté le foyer, abandonné conjoint et enfants, il y aurait quelque chose d’impudique à prétendre retrouver sa place dans la communauté ecclésiale sans délai. Un sentiment de scandale est provoqué quand le parent qui a quitté le foyer continue de communier comme si de rien n’était.

 

Certains peuvent être en demande d’une lumière pouvant les conduire à revenir en arrière. Il faut, de la part de l’accompagnateur, une très grande délicatesse. Il ne peut s’agir de manipuler le baptisé pour qu’il recouvre une situation régulière. Mais les personnes divorcées remariées ne peuvent pas entrer dans un discernement si leurs valeurs conjugales s’éloignent radicalement de celles de l’Eglise. Par exemple, s’ils refusent l’engagement de fidélité, ou si l’aspiration à un enfant de l’un est refusée par l’autre.

 

Ch. 11 – Les baptisés divorcés en couple qui sont prioritairement éligibles.

Ce sont les personnes qui ont été victimes d’un abandon injuste, ou qui y ont été forcés suite à de mauvais traitements. Ceci dit, les accompagnateurs, et le clergé en particulier, doivent faire preuve de la plus absolue discrétion sur le domaine sexuel.

 

Ch. 12 – Les dispositions intérieures de l’accompagné.

La personne qui souhaite être accompagnée dans un discernement doit vouloir la volonté de Dieu, et non sa volonté propre. La décision par l’accompagné de s’abstenir de communier pendant la période de discernement peut être un signe de son désir de chercher la volonté de Dieu.

Ceci dit, le Pape François souligne que « l’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. » (Evangelii Gaudium)

 

Dans ce processus, il sera utile de faire un examen de conscience, en reconnaissant la lumière et les ombres.

Cette relecture s’opère en présence de Dieu qui est père, devant lequel on ne peut se mentir à soi-même.

« Osez faire l’appel des êtres qui ont traversé profondément votre vie. N’avez-vous volé le bonheur de personne ? Nul ne peut se regarder en face qu’à genoux et sous le regard de Dieu » (François Mauriac)

 

L’accompagnateur pourra proposer d’écouter des passages de l’Ecriture, adaptés au point où il en est.

Il n’est pas nécessaire d’appartenir à une élite pour entreprendre ce chemin. Et il n’est pas non plus nécessaire d’avoir une culture religieuse de haut niveau.

 

Ch. 13 – Accompagner une personne unique.

Pour certains pratiquants, ne pas se remarier devant le maire traduit une volonté de ne pas paraître mépriser l’Eglise qui « condamne » le remariage. Pour ces personnes, tant qu’il n’y a pas remariage civil il demeure quelque chose de l’indissolubilité.

 

Le jugement de l’accompagnateur est toujours inopportun.

L’accompagnement interdit de situer les personnes dans des catégories du type : « il a eu l’initiative du divorce », ou « elle a été abandonnée », ou « il l’a trompé ». L’écoute profonde de l’accompagné doit l’aider à comprendre son histoire, à prendre la mesure de ses responsabilités ou des circonstances atténuantes.

 

Ch. 14 – Accompagnement et discernement.

Il n’y a pas de modèle d’accompagnement et de discernement.

Le déroulement est unique, imprévisible, improgrammable.

Il s’agit d’un suivi individuel sur une durée significative. A priori, un accompagnateur ne peut suivre qu’un des deux membres du couple reconstitué.

Le point de départ peut être à l’initiative de la personne en situation conjugale complexe. Cela peut aussi être à l’initiative du curé de la paroisse ou de toute autre personne informée de la voie spirituelle.

Mais, dans la mesure du possible, un paroissien ne sera pas dirigé pour discernement vers son curé.

De même, la conclusion du discernement ne peut pas être anticipée au point de départ.

L’accompagnateur devra préciser quelques règles : cadence et régularité des entretiens.

Il peut être suggéré à l’accompagné de revenir, avant la séance suivante, sur l’entretien. A l’entrevue suivante, l’accompagné pourra librement évoquer cette relecture et partager sa méditation du texte de l’Ecriture.

 

La reconnaissance des responsabilités dans la crise et la séparation a une grande portée :

  • la consécration disproportionnée au travail professionnel au détriment de la vie conjugale et familiale ;
  • le surinvestissement de l’épouse en faveur des enfants au détriment de l’époux ;
  • l’espacement démesuré des relations sexuelles ne justifie pas l’infidélité, mais peut l’expliquer ;
  • etc …

 

Tous ces évènements et toutes ces blessures font d’un échec conjugal, non pas un acte délibéré, mais le fruit vénéneux d’un destin qui n’a pas pu être maîtrisé.

 

Revisiter la remise en couple.

Pour beaucoup de divorcés-remariés, la période postérieure au divorce révèle une inaptitude radicale à la solitude. Elle se traduit généralement par des symptômes dépressifs, la recherche effrénée d’une compagnie, une perte de sens de l’existence et du goût de la vie, et chez certains des désirs suicidaires.

L’accompagné peut reconnaître l’Esprit Saint à l’œuvre pendant cette période.

« La charité fraternelle est la première loi des chrétiens. » (A.L. n° 306)

La reconstruction du couple ne fait pas disparaître la blessure primitive de l’échec du couple sacramentel, même après des décennies.

 

Le discernement peut ouvrir sur le sacrement du pardon et l’Eucharistie.

Ce sont là quelques-uns des bienfaits de la voie spirituelle rendus possibles par le courage du pape François.

Ceci dit, le prêtre accompagnateur pourra donner le sacrement de la miséricorde sous réserve qu’il ait été autorisé par l’évêque du diocèse.

 

Ch. 15 – Accueil et intégration.

D’un diocèse à l’autre, les mentalités des catholiques sont plus ou moins accueillantes aux évolutions.

Cela conduira donc à des nuances dans les décrets d’application des évêques.

La mise en application des paragraphes 291 à 312 d’A.L. suppose que l’évêque choisisse les personnes chargées de l’accompagnement sur son diocèse.

Il n’apparaît pas idéal qu’un curé assume cette mission pour ses paroissiens.

 

La proclamation de la bonne nouvelle d’Amoris Laëtitia.

4 ans après la parution de l’exhortation apostolique, l’information sur le chapitre 8 demeure, le plus souvent, soustraite à la connaissance des divorcés vivant en couple, pourtant éligibles.

N’est-il pas coupable de cacher au patient l’information sur le remède qui peut, sinon le guérir totalement, du moins stopper la progression de sa maladie, le soulager de ses souffrances ?

Il y a là une urgence missionnaire absolue.

Les actions engagées par la pastorale familiale peuvent-elles exclure ceux qui, en raison de leur situation matrimoniale « irrégulière », demeurent au fond de l’église ou ont renoncé à la fréquenter ?

On ne peut prétendre s’engager dans la mission et, en même temps, ignorer ces baptisés.

Pour les personnes qui ont pris des distances vis-à-vis de l’Eglise, il paraît indispensable que les diacres et les paroissiens engagés fassent œuvre d’émissaires. Il s’agit d’appeler ceux qui sont aux périphéries, ceux qui ne franchissent plus les porches des églises, et qui n’ont pas renoncé à leur identité chrétienne.

 

Un discernement pastoral préliminaire.

Tous ne sont pas pour autant prêts, dans l’immédiat, à un accompagnement.

Il faudra former les accompagnateurs à ce discernement préliminaire délicat.

Inciter à cette démarche les personnes dont la situation est stabilisée, quand on pressent que leur histoire n’est pas sans circonstances atténuantes, que leur responsabilité dans l’échec conjugal est limitée.

Tout n’est pas possible pour tous et partout.

 

Le cadre de la paroisse est central pour une meilleure intégration, sans pour autant être unique.

Néanmoins, le pape François recommande la discrétion aux baptisés en situation conjugale complexe, notamment s’agissant de la réception de l’Eucharistie.

En aucun cas le déploiement de la miséricorde envers des couples en situation irrégulière ne se fera au détriment du sacrement de mariage.