Mgr Jean-Paul Vesco La tradition

 Mgr J.P. Vesco

Synode : Intervention en séance plénière du 1O octobre 2015

synode Mgr J.P. Vesco

Synode : Intervention en séance plénière du 1O octobre 2015

 

Très Saint Père, chers frères et sœurs,

Hier et aujourd’hui nous avons entendu beaucoup d’interventions demandant que ce synode soit l’occasion d rappeler la valeur inestimable et l’exigence du mariage sacramentel indissoluble. Je crois que dans cette salle nous sommes tous d’accord sur cette nécessité.

Cela dit, le mariage étant la plus belle mais aussi la plus périlleuse des aventures humaines, quelques soient les efforts que nous déploierons pour mieux préparer les futurs époux, nous n’éviterons jamais que des mariages échouent. Il nous faut regarder cette réalité en face. Si ce synode n’est pas l’occasion d’adresser une parole renouvelée aux personnes de bonne volonté qui ont connu un échec de leur mariage (dont elles ne portent pas forcément la responsabilité) et qui sont engagées dans une seconde union fidèle et stable, ce synode sera une occasion manquée qui ne se reproduira pas.

Tout particulièrement, l’expression « vivre en frère et sœur »  est une expression qui nous rassure mais qui ne fait pas sens pour les personnes concernées et qui n’est que très exceptionnellement vécue dans la réalité.

Cette expression est contestable théologiquement. Elle laisse en effet penser que les relations sexuelles sont au cœur de l’alliance alors que, bien sûr, l’alliance demeure en l’absence de relations sexuelles. La vie religieuse est le projet de vivre en frère et sœur à la suite du Christ, et c’est tout autre chose.

Cette expression est aussi contestable humainement. Il est en effet bien difficile de savoir où commence l’intimité conjugale : on ne tient pas de la même façon la main de sa sœur et la main de son épouse ! Et comment imaginer une croissance affective harmonieuse d’enfants dont le modèle parental serait celui de frères et sœurs et non pas de parents vivant une affection conjugale. Paradoxalement, ces enfants seraient les victimes innocentes de notre souhait de favoriser l’harmonie familiale !

Chers frères, le travail et les moyens matériels et humains colossaux mis en œuvre pour réussir un tel synode sont une occasion unique de chercher ensemble les paroles et les gestes qui disent au monde d’aujourd’hui en même temps le dépôt de notre foi et l’accueil inconditionnel des personnes.

+ fr. Jean-Paul Vesco op

3minutes avec Mgr Vesco

Nous sommes tous nés dans une famille et je voudrais vous raconter l’histoire de mon cousin Bertrand. Marié jeune, père d’un petit garçon, sa femme le quitte pour partir avec un de ses amis alors qu’il a à peine trente ans. Le problème de mon cousin est que son ami, en lui prenant sa femme, ne lui a pas pris son désir d’être époux et d’être père. Quelques années plus tard il se marie civilement avec Edith. Ils ont quatre enfants, trois filles et un garçon. Lorsque ce dernier a neuf ans, il entre à l’hôpital pour une opération bénigne. En raison d’une erreur d’anesthésie, c’est un enfant dans le coma, le cerveau définitivement endommagé, qui leur est rendu. Plus de vingt ans après, ce garçon magnifique mais qui n’a plus de mémoire immédiate, est l’objet d’une attention de chaque instant de la part de ses parents. Combien de couples auraient été broyés par une telle épreuve ? Que d’amour et de fidélité faut-il pour porter à deux la charge d’un enfant handicapé! Comment ne pas voir la Grâce de Dieu à l’œuvre dans cette famille.

Chers frères, pouvons-nous vraiment affirmer, au nom du Christ, que ces deux-là sont adultères, après plus de trente ans de fidélité et le poids de l’épreuve ? Pouvons-nous vraiment leur dire qu’ils devraient se séparer afin de pouvoir recevoir le sacrement de réconciliation et communier ? Pouvons-nous vraiment leur demander de vivre en frère et sœur quand la tendresse des époux a été pendant toutes ces années le lieu de leur repos ?

L’Eglise donne un contre-témoignage lorsqu’elle exige, pour l’accès au sacrement de réconciliation, le préalable d’une séparation devenue impossible. Elle apparait aussi en contradiction avec la théologie de l’indissolubilité.

Pour Saint Thomas d’Aquin en effet l’amour d’amitié que se promettent les époux au moment de l’échange des consentements est ce qui fonde l’indissolubilité du mariage. Le sacrement vient donner à l’indissolubilité une force particulière (can 1056 CDC) et fait du mariage une véritable consécration. C’est la raison pour laquelle l’Eglise peut reconnaître l’indissolubilité du mariage civil entre deux non-baptisés.

Pour cette même raison, la décision, objectivement fautive, de s’engager dans une seconde union fidèle et stable après l’échec d’un mariage sacramentel crée une situation tout aussi irréversible que le mariage naturel sur laquelle il n’est plus possible de revenir sans porter une nouvelle fois atteinte à l’indissolubilité qui est la marque de tout amour oblatif.

L’exigence de vérité et de conversion devrait porter sur la décision de s’engager dans une nouvelle union ainsi que sur les circonstances de l’échec du mariage sacramentel. Elle serait la base d’une démarche pénitentielle progressive à l’issue de laquelle, si le pardon sacramentel était accordé, on pourrait reconnaître à la seconde union la dignité que nous reconnaissons au mariage naturel.

Priver des sacrements de réconciliation et de l’eucharistie est un acte grave. Qui peut affirmer que cette privation est toujours justifiée ? Chers frères, notre responsabilité de pasteurs est lourde et, en cette année sainte, je prie le Seigneur qu’il nous soit fait, à nous aussi, miséricorde.