Témoignage d’un diacre heureux

Témoignage jubilé 30 ans d’ordination

Thierry GRENET , Diacre permanent

 

Le mercredi, veille du jeudi saint, nous célébrons la messe Chrismale durant laquelle l’évêque bénit les huiles saintes et consacre le Saint-Chrême. Une occasion aussi pour les prêtres et les diacres de renouveler leurs vœux. Dans notre diocèse de Rouen, passer la journée tous ensemble, prêtres et diacres autour de notre évêque, est devenu une tradition : une belle journée de fraternité !

Cette année, l’évêque avait demandé aux jubilaires de témoigner de leur joie d’être prêtre ou diacre. Parmi les 5 témoignages souhaités tous aussi forts les uns que les autres, j’ai eu l’occasion de témoigner aussi en tant que diacre permanent ordonné il y a 30 ans. Ci-dessous un extrait de mon témoignage à propos de ma mission concernant l’accompagnement des personnes séparées-divorcées pour lesquelles dans notre diocèse nous proposons un parcours de reconstruction appelé « Traverser dans l’Espérance ».

 

(…) Oui me concernant je suis un diacre heureux, sans faire mon Charles Trenet, je dirai que oui y a eu et y a la joie !

 

Pour terminer, je voudrais partager avec vous cet étonnant ressenti : celui de la joie d’avoir été envoyé en mission dans une réalité humaine dont j’ignorais tout, je veux parler de la séparation et du divorce. Mais alors, me direz-vous, comment éprouver de la joie devant tant de souffrances étonnant non ? C’est vrai, il en allait d’ailleurs déjà ainsi en milieu hospitalier quand je travaillais comme infirmier à l’hôpital. Comment oser parler de joie en ces lieux de souffrance ? En ces deux endroits, le mot joie pourrait paraitre, sinon impudique, du moins décalé et pourtant…

 

Il ne s’agit bien sûr en aucun cas de se réjouir du malheur des autres, mais de vivre au plus près, au plus juste, au plus vrai, le plus humblement, mais le plus bellement possible les paroles du Christ :

  • « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés »
  • « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait »

 

Depuis 8 ans, le Père Jean-Charles Descubes, puis ensuite le Père Dominique Lebrun, m’ont demandé d’accompagner les personnes séparées-divorcées. En cette réalité ô combien douloureuse, au cœur de ce drame humain, ma joie et ma peine se mêlent sans cesse. Joie de pouvoir offrir un espace de parole aux personnes cherchant à comprendre ce qui leur arrive, et cherchant un chemin pour se reconstruire humainement et spirituellement, après le tsunami de la séparation. Joie d’offrir une oreille d’Eglise attentive, pleine de compassion, et je dirais même d’affection fraternelle. A côté de ces souffrants, comme nous le demande le pape François dans Amoris Laetitia, je me vis comme un facilitateur de la grâce, et oui cela me réjouit profondément. Joie de pouvoir dire et redire à ces personnes blessées que, toujours selon le pape François, la miséricorde de Dieu est gratuite, inconditionnelle et imméritée, et que l’Eglise n’est pas une douane.

 

Mais pour être honnête et sincère, à cet endroit, la peine étouffe parfois ma joie quand j’entends l’adversité, les jugements, les rejets, les condamnations que ces personnes doivent endurer, en plus de leur souffrance déjà incommensurable, y compris de la part de notre propre Eglise. Et pourtant, je veux croire alors que ma place, ma mission exercée avec des laïcs sont déjà des signes d’Espérance dans une Eglise qui devrait, toujours selon François, ressembler d’abord à un hôpital de campagne.

 

C’est alors que je me sens l’âme d’un diacre forain. Autrement dit, j’ai l’âme d’un diacre nomade qui rejoint, qui est présent, là où se jouent les enjeux essentiels de la vie. Certes, j’ai connu l’inquiétude et parfois l’inconfort du déplacement à faire à chaque début d’une nouvelle mission, mais je me suis toujours retrouvé dans l’image du diacre passeur ou constructeur de ponts.

 

Puisque nous sommes à l’époque du « marcher ensemble », je ne vois pas comment être signe d’amour en restant assis, et en parlant à propos de ce que je connais pas. Pour accompagner, j’ai besoin de vivre d’abord avec les personnes concernées. Personnellement, je l’avoue, c’est probablement une de mes limites, je ne sais pas aimer à distance. Ma joie, je la puise dans la proximité, et auprès de ceux vers qui j’ai été envoyé. Et pour le coup, ceux-là mêmes vers qui nous sommes envoyés, nous les diacres, ne s’y trompent pas, ils savent bien pourquoi nous cheminons avec eux, ils savent bien profiter de cette proximité d’un homme, dit d’Eglise, à leur côté.

 

Toujours infirmier dans l’âme, je suis heureux de travailler dans et pour cet hôpital de campagne.  Envoyé sur le front auprès des personnes blessées par la séparation ou le divorce, j’aurais donc finalement toute ma vie travailler à prendre soin. Je me sens désormais non plus employé par le CHU, mais par l’Eglise, et mon chef de service, c’est Dieu. Je me réjouis que le Seigneur m’ait confié ce poste, je me réjouis d’être son ouvrier. Quant à mon salaire, c’est la joie de le servir. Pour être franc, j’aimerai parfois toucher une subvention de l’Eglise en tant qu’institution, je me sentirai moins seul, plus soutenu. Quand je dis subvention, vous l’aurez compris, je veux parler de contribution active, de soutien, quelque chose qui signifierait comme « un vas-y Thierry, dis leur l’Amour inconditionnel de Dieu, et dis-nous comment l’Eglise pourrait les accueillir, et les aimer davantage ».

 

C’est à ce moment-là, ce moment de tension, que selon moi que le ministère diaconal prend tout son sens… qu’il est beau, qu’il est vrai, et qu’il devient une grâce pour notre Eglise !

 

Pour conclure, je dirais que ma joie, c’est celle de faire émerger des possibles, quand les impossibles semblent faire loi. Ma joie c’est de huiler les portes des églises qui grincent. Ma joie, c’est de permettre tous les « quand même », quand les vents contraires s’acharnent.