« Peut-on communier quand on est divorcé-remarié ? »
6 questions pour discerner
La réponse plein d’humanité de Mgr Jean-Charles Thomas, ancien évêque de Versailles, qui propose aux divorcés remariés un chemin de vérité, en vue d’une vraie décision de conscience.
Une personne victime du divorce (abandonnée par son conjoint), qui a refait sa vie en se remariant, est à présent heureuse en couple. Elle avoue communier régulièrement. Mais elle est très culpabilisée de transgresser les interdits de l’Église. Quoi lui dire ?
Je suis pasteur, voilà ce que je peux lui dire :
C’est à Dieu qu’appartient le jugement final sur nos choix. Dès à présent, essayez de croire qu’il porte sur vous le seul regard à la fois objectif, complet, juste et plein de compassion. Lui seul vous connaît à fond, évalue votre part de responsabilité dans l’histoire de votre premier couple. Prenez le temps de lire lentement, pour le méditer, ce que saint Jean écrivait aux chrétiens (voir 1 Jean 2,1-2 et 3,18-23). Cette lecture méditée activera le niveau profond de votre âme. Demandez à l’Esprit Saint de vous rendre totalement disponible à ce qu’Il veut vous faire comprendre.
Méditez ensuite sur le comportement et les paroles de Jésus à la Samaritaine (elle vivait avec un cinquième mari), aux pharisiens sollicitant la condamnation de la femme adultère, à ceux qui demandaient dans quelle mesure l’homme pouvait répudier sa femme, à Simon qui s’étonnait de voir Jésus accepter l’attitude de la femme pécheresse (voir Jean 4, 16-30 ;8, 1-11 ; Matthieu 19, 1-12 ; Luc 7, 36-50.). Donnez tout son poids au principe par lequel Jésus justifie cette proximité avec les pécheurs : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Nous accordons du crédit aux paroles de l’Église. Avons-nous donné à la Parole du Fils de Dieu tout le poids qu’elle mérite ? Pour un chrétien, l’Autorité de Dieu doit toujours l’emporter sur les autorités humaines, y compris religieuses.
En mon âme et conscience
Lisons maintenant quelques affirmations officielles de notre Église. « L’être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience. S’il agissait délibérément contre ce dernier, il se condamnerait lui-même » (Catéchisme de l’Église catholique n° 1790). « Dans la formation de la conscience, la Parole de Dieu est la lumière sur notre route » (CEC n° 1785). « Au fond de sa conscience, l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même inscrite par Dieu au coeur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu ». Ces phrases furent votées par plus de deux mille évêques lors du concile Vatican II (« Gaudium et spes », n° 16). Leur autorité ne peut être contestée.
Malheureusement, nous préférons parfois une réponse simple, formulée par un homme d’Église, à une réflexion plus exigeante menée en notre âme et conscience. Serait-ce par peur de nous tromper ? Ou de céder à une certaine complaisance ? Les êtres humains sont ainsi faits : ils pensent généralement qu’une réponse dure, exigeante, est plus conforme à la pensée de Dieu. Si nous appliquions cette règle aux réponses de Jésus, nous devrions dire que sa miséricorde déformait la pensée de son Père. Or Jésus était la Vérité même. Il se montrait sévère avec ceux qui exigeaient des autres une rigueur qu’ils ne s’appliquaient pas à eux-mêmes (Matthieu 23). Il voulait faire reconnaître que Dieu se comporte en Père, que sa priorité n’est pas de juger mais d’aider et de sauver avec tendresse. Et Jésus a vécu comme son Père le désirait. Fidèlement.
Mon premier mariage était-il valide ?
L’Église romaine s’efforce d’aider les époux à porter un jugement éclairé sur la validité de leur mariage. S’ils se séparent ou divorcent (selon la loi civile), elle les invite à faire « juger » la validité de leur engagement par six juges (trois en première instance du tribunal ecclésiastique, et trois en seconde instance). Si les deux instances estiment que l’engagement formulé « à l’église » fut invalide, l’Église accepte de bénir le nouveau mariage que chaque époux peut contracter. Elle n’annule pas le premier lien, elle estime qu’il ne fut pas valide.
Or, ce recours aux tribunaux ecclésiastiques nécessite enquêtes, témoignages, retour sur un passé qui ravive des plaies au coeur des époux et pose de rudes questions aux enfants nés de ce mariage. Il prend plusieurs années et occasionne des frais. Aussi beaucoup hésitent-ils à choisir cette voie. Il ne manque pas d’époux pour penser, en leur âme et conscience, que leur mariage fut invalide, même sans l’avoir soumis au jugement d’un tribunal ecclésiastique. Ils se privent de son aide, ce qui est dommage. Ils restent seuls dans l’analyse de leur passé, oscillant parfois en conscience, ce qui n’est pas confortable et les fait souffrir. Beaucoup d’époux ayant divorcé se trouvent dans cette situation. Des groupes de réflexion sont alors indispensables pour permettre leur libre expression sur leur premier lien conjugal. Agréés par l’autorité ecclésiale locale, ils deviennent un lieu de vérité, de soutien et de reconstruction après la blessure d’un divorce.
L’Église orthodoxe propose un temps de conversion
Autre limite, et de taille. L’Église romaine examine la validité des mariages seulement au moment où ils furent contractés. Elle s’interdit de faire un discernement sur un mariage estimé valide à l’origine, mais devenu par la suite un enfer pour l’un ou l’autre des époux, au point de rendre indispensable une séparation définitive. Multiples peuvent être les raisons : accident, maladie imprévisible, évolution psychique régressive de l’un des époux, violence, alcool, drogue, etc. Nombreux demeurent les cas où la bonne volonté et le courage d’un époux ne suffisent pas à éviter la séparation ou le divorce.
L’Église orthodoxe, elle, se risque à aider les époux lorsque le couple s’est écroulé, s’est séparé, a divorcé. Elle reconnaît que les humains peuvent commettre des erreurs et qu’il n’est pas évangélique de les abandonner à un jugement négatif, en les laissant définitivement dans une situation invivable. Elle propose un temps de réflexion, de reconnaissance des torts que chacun a pu avoir. Elle invite à une sorte de conversion avant d’accepter de bénir le mariage de personnes qui furent amenées à divorcer.
Telle est la perspective que j’ai proposée dès 1991 aux époux abandonnés ou contraints au divorce qui, par la suite, ont contracté mariage. L’Église romaine ne la propose pas, à la différence de l’Église orthodoxe. Aussi l’ai-je présentée comme une « décision de conscience » et non comme une solution agréée par l’Église romaine. Cependant, qui sait si elle ne l’acceptera pas un jour, notamment si la communion renaît entre les Églises chrétiennes ?
Pour une vraie décision
Pour l’élaborer, le divorcé remarié doit donc se questionner devant Dieu, principalement sur les points suivants :
- Est-ce que je cherche à vivre la foi chrétienne de plus en plus profondément, notamment depuis mon nouveau mariage ?2. Le couple que je forme actuellement est-il stabilisé depuis un temps notable (dix ans), paisible, vivant sous le regard du Seigneur avec espoir fondé de durer dans la fidélité ?
3. Ai-je essayé de faire la clarté sur la validité de mon premier mariage ?
4. Ai-je reconnu loyalement mes torts dans le déroulement puis l’effondrement de mon couple ? Suis-je allé jusqu’à solliciter le pardon de mon conjoint ou des enfants que mon attitude aurait pu blesser ?
5. Ai-je lutté pour ne pas entretenir et manifester une attitude agressive envers mon conjoint, ou sa famille, ou les enfants, ou les représentants de l’Église ?
6. Ai-je dialogué avec des chrétiens sur les questions de conscience posées par mon divorce et mon remariage civil ? Cette recherche de dialogue m’a-t-elle fourni des éléments de discernement spirituel ayant apaisé « mon état d’âme » ? Suis-je actuellement dans une certaine paix intérieure depuis que j’ai choisi de communier quand je participe à l’eucharistie ?
Si vous répondez positivement à ces questions, je ne suis pas seul à penser que vous vivez dans une attitude loyale envers Dieu. Vous pouvez estimer que vous êtes en paix avec Lui et en harmonie avec l’enseignement du Christ, le Juge de tous les humains. Il vous aime et vous demeurez en lui.
Mgr Jean-Charles Thomas, ancien évêque de Versailles ; mars 2008