L’épreuve de la rupture amoureuse semble parfois insurmontable.
Pourtant, après la souffrance vient le temps de l’apaisement et, parfois même, celui d’une renaissance. (Paula Pinto Gomes, publié dans La Croix , le 12 octobre 2022) –
C’était il y a douze ans mais Farooq (1) reconnaît qu’il n’a jamais vraiment « réussi à surmonter ce chagrin ». À l’époque, il a 25 ans et tombe fou amoureux d’une jeune fille, d’origine pakistanaise comme lui, à qui il déclare sa flamme. Elle est déjà fiancée mais, un jour, contre toute attente, elle lui donne un baiser « inoubliable ». « J’étais le plus heureux des hommes, je savais que c’était la femme de ma vie », raconte-t-il.
Leur histoire durera un an. Après un voyage au Pakistan, elle lui annonce qu’elle va se marier avec son fiancé. Farooq est effondré mais lui souhaite « tout le bonheur du monde ». « Je voulais qu’elle soit heureuse et, si elle en avait décidé ainsi, je devais prendre sur moi. » Très vite, pourtant, il se rend compte qu’il a surestimé ses forces. « Les jours et les mois qui ont suivi ont été les pires de ma vie. » Farooq recherchera longtemps « ce feu ardent », mais ne se sentira « jamais comblé ». « Je n’arrivais pas à l’oublier », dit-il. Un jour, il décide tout de même de « passer à autre chose ». Il rencontre quelqu’un, se marie et devient papa. Mais il pense souvent à cet amour, « l’unique, le vrai ». « J’ai gardé tous les mails de l’époque. Il m’arrive encore de les lire et d’avoir des moments de déprime et de solitude. »
Le chagrin d’amour peut être dévastateur. Ne plus être aimé par celui ou celle que l’on considérait comme sa moitié, se sentir blessé, trahi, nous plonge dans une détresse qui nous renvoie à « notre besoin viscéral d’amour », rappelle la psychanalyste Catherine Audibert, autrice de Surmonter un chagrin d’amour et en sortir grandi. « À la naissance, nous sommes complètement dépendants de l’autre. Nous ne pouvons pas vivre si quelqu’un ne nous prodigue pas des soins vitaux, mais nous ne pouvons pas non plus vivre sans amour. »
La douleur est d’autant plus violente qu’elle réveille des peurs d’abandon infantiles. Aussi, n’est-elle pas toujours proportionnelle au vécu amoureux, mais au passé de chacun, souligne la psychosociologue Patricia Delahaie, autrice de Comment guérir du mal d’amour : De la rupture à la reconstruction en 5 étapes. « Parfois, il n’y a pas beaucoup d’amour mais le chagrin est immense parce qu’il fait écho à une histoire personnelle difficile », observe-t-elle. Le temps nécessaire pour se remettre d’une séparation n’est pas non plus proportionnel à la souffrance ressentie. « On peut être dévasté et dépasser la douleur assez viteou bien ne pas trop souffrir sur le moment mais mettre des années à tourner la page », constate la spécialiste, qui s’appuie sur de nombreux témoignages. La capacité à surmonter une rupture dépend, en outre, de l’idée que l’on se fait de l’amour et du couple, ajoute-t-elle. « Si on attend qu’il soit indestructible, on ne vivra pas les choses de la même façon que si on accepte que l’on puisse se séparer un jour. »
Reste qu’une rupture amoureuse est toujours un « arrachement », écrit la philosophe Claire Marin dans Rupture(s). « Arrachement de ce que l’on tenait pour nôtre, de ce que l’on avait littéralement incorporé à notre être. Ce n’est pas seulement que l’autre s’éloigne, emportant un peu de moi, c’est qu’il m’écorche, il m’ôte cette peau d’amour, cette enveloppe protectrice et rassurante, sa présence et son attention, il me prive de ses regards séducteurs, fiers ou bienveillants. »
Comment surmonter cette perte de l’autre et d’un peu de soi-même ? « Chacun fait comme il peut, répond, pragmatique, Patricia Delahaie. Certains vont sortir ou multiplier les nouvelles conquêtes, d’autres vont se replier sur eux-mêmes ou pleurer sur l’épaule d’un ami. D’autres vont anesthésier la douleur en buvant ou en mangeant. C’est un comportement qui agit comme un antalgique. »
Celui qui quitte peut d’ailleurs aussi souffrir, analyse Catherine Audibert. « La rupture peut être un bouleversement parce qu’on n’imaginait pas que le couple pouvait se terminer un jour ou parce qu’on voit souffrir l’autre et les enfants lorsqu’il y en a. » Celui qui est quitté est toutefois confronté à une blessure narcissique que l’autre ne vit pas. « Comment continuer à s’aimer soi-même quand le conjoint nous dit :” Je ne t’aime plus” ?, s’interroge Patricia Delahaie. L’une des voies de résilience, c’est de regonfler son ego en se donnant des raisons de s’aimer et en s’entourant de personnes qui nous apprécient vraiment. » Se confier à ses amis n’est pas toujours une bonne idée, avertit Catherine Audibert. « Dans une séparation, ils veulent souvent prendre parti et ce n’est pas forcément une aide, dit-elle. Sans compter qu’on est parfois gêné de leur avoir confié des choses trop intimes. Lorsque la douleur déborde, il faut surtout s’adresser à quelqu’un qui sait écouter. »
Un travail psychique, effectué seul ou avec un professionnel, « est nécessaire pour admettre que l’histoire se termine et qu’on ne pourra pas forcer l’autre à nous aimer. Après une rupture, il y a une sorte de deuil à faire pour pouvoir passer à autre chose. » Ce travail peut durer plusieurs mois et se fait rarement de manière linéaire. Il y aura des hauts et des bas, notamment lorsque le couple a des enfants et que les ex-conjoints sont amenés à se revoir. Une fois la rupture digérée, il est possible de vivre une relation sur un autre mode, avec des attentes plus conscientes et, peut-être même, avec quelqu’un qui nous correspond davantage. « La réflexion sur ce qui s’est passé nous apprend des choses sur nous-mêmes et nous savons mieux ce que nous voulons, assure Patricia Delahaie. Nous vivons une époque de fragilités amoureuses mais nous n’avons jamais été aussi ouverts à la rencontre. »
Selon le sociologue Christophe Giraud, après une séparation, les hommes se remettent plus vite et plus souvent en couple que les femmes. « Ce qui ne signifie pas qu’elles ont du mal à trouver un partenaire mais que la vie sous le même toit ne leur convient probablement pas tout de suite. »
REPERES – Les séparations
Près de 75 % des demandes de divorce émanent des femmes, selon les données rassemblées par le sociologue François de Singly dans son livre-enquête Séparée. Vivre l’expérience de la rupture (Armand Colin). Une statistique qui interroge puisque les divorces par consentement mutuel sont les plus fréquents, nuance Christophe Giraud, sociologue spécialiste du couple.
Selon une enquête de l’Insee sur les histoires familiales, publiée en 2006, les jeunes générations sont plus promptes que les générations précédentes à rompre une union, sur une même durée.
Une enquête de l’Ined (Epic, 2014) montre également que les jeunes se séparent plus souvent qu’avant dès la première union cohabitante, c’est-à-dire une relation d’au moins six mois sous le même toit.
(1) Le prénom a été changé.